Je suis sage-femme

Je m’appelle Camille. J’ai 25 ans, un conjoint et deux chats, et je suis sage-femme depuis 1 an et demi. Je travaille dans un CHU, une maternité de niveau III, dans tous les services mais principalement en salle de naissances.

Il est 5h45. Mon réveil retentit, déjà. Je n’ai pas de difficulté à me lever, je file sous la douche puis je prends un bon petit-déjeuner car je ne sais pas à quelle heure je pourrai manger aujourd’hui, ni même si j’aurai le temps.

Depuis peu j’ai déménagé dans une maison à la campagne, j’ai 20 minutes de route pour aller travailler. Je profite de ce temps pour me détendre, écouter de la musique, laisser vagabonder mes pensées… C’est agréable avant la journée de douze heures qui m’attend.

J’arrive à l’hôpital, je file au vestiaire et j’enfile une tenue rose. Je ressens toujours une certaine appréhension lorsque j’arrive en salle de naissances, une petite boule au ventre. On ne sait jamais vraiment ce qui nous attend. Mais c’est avec plaisir que je retrouve mes collègues.

Nous faisons les transmissions et puis chacune demande des nouvelles des unes et des autres. Les enfants qui vivent plus ou moins bien le port du masque à l’école, le petit chaton que l’une a adopté, le voyage annulé de l’autre… Ce moment d’échange est toujours agréable, bien que court, avant de commencer la journée.

Je fais rapidement le point sur mes dossiers puis je vais voir les patientes que je prends en charge, je me présente « Bonjour, je suis Camille la sage-femme de garde, c’est moi qui vais m’occuper de vous aujourd’hui ». Et puis les 12 heures s’écoulent. Le déroulement de la journée est très aléatoire, cela peut vite devenir stressant, mais c’est ce qui me porte, me fait vibrer personnellement.

Je suis à l’affût du moindre bruit ; sonnette, monitoring, cri ou geignement d’une patiente.

J’accueille une femme presque à terme très anxieuse car elle sent moins son bébé bouger depuis quelques jours, une deuxième pare à 8 cm de dilatation qui n’aura pas le temps d’avoir sa péridurale, une autre qui pense avoir rompu la poche des eaux…

Je conseille à une future maman de faire du ballon pour favoriser la dilatation du col en attendant de pouvoir prétendre à la péridurale, je lui masse le bas du dos, j’appelle le gynécologue pour une hémorragie de la délivrance, je propose à ce papa qui accueille son premier fils de couper le cordon ombilical, j’explique à l’étudiante sage-femme comment agir en cas de césarienne en urgence, je positionne différemment une femme à dilatation complète pour aider le bébé à descendre dans son bassin, j’observe cette jeune maman de 17 ans échanger son premier regard empli d’amour avec son bébé, puis j’examine ce dernier. Je rassure cette femme que l’on hospitalise pour menace d’accouchement prématuré, je vérifie le bilan d’une autre avant d’appeler l’anesthésiste pour la pose de péridurale, je suture la petite déchirure de cette jeune mère qui fait du peau-à-peau avec son enfant, et je cours administrer les antibiotiques à celle qui va probablement bientôt avoir envie de pousser…

Chaque garde est différente. Accouchement physiologique ou non, avec ou sans péridurale, césarienne, consultations, accueils de bébés qui vont bien ou un peu moins, prématuré, à terme ou post-terme… Certains couples ou certaines situations m’arrachent une petite larme. Je suis sensible et qu’est-ce que j’aime ce métier !

Je mange et je vais aux toilettes quand je peux. J’essaie de ne pas me laisser déborder par toute la paperasse administrative qui m’ôte malheureusement du temps auprès des patientes. Cela peut paraître surprenant mais parfois, malgré les journées de 12h, nous n’avons pas le temps de tout faire. Et pourtant, chaque jour, j’espère pouvoir partir à l’heure.

Lorsque la relève arrive c’est souvent un soulagement même si, parfois, je ressens une certaine frustration à l’idée de ne pas pouvoir assister à l’accouchement d’une patiente que j’ai suivi pendant plusieurs heures. Je suis éreintée par ma journée. Nous faisons les transmissions, puis je regagne le vestiaire. Je me change et je file prendre ma voiture pour rentrer chez moi. Quelques fois, le trajet me permet de décompresser avant de rentrer. Mais souvent je me repasse le film de ma journée en espérant n’avoir rien oublié. Il n’est pas rare qu’une fois arrivée, j’envoie un petit message à ma collègue « En fait, j’ai oublié de te dire pour la femme de la salle 3… ».

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Ce métier me fait vibrer. Et pourtant, je n’ai pas toujours voulu faire ça.

A l’origine, je voulais devenir kinésithérapeute. Puis, je suis arrivée en première année de médecine – la PACES – sans trop savoir quoi faire. Pédiatre, peut-être… J’ai échoué au concours la première année. Pour ma deuxième tentative, je souhaitais assurer mes arrières, et je me suis donc rendue au cours de présentation de la filière sage-femme, ce métier que je ne connaissais absolument pas. Cette découverte a été une révélation ! A partir de ce moment, j’ai su que je ferais tout pour devenir sage-femme.

Les études qui durent cinq ans (PACES inclue) sont longues et difficiles. On nous met beaucoup de pression à l’école, et les stages sont stressants.  A 20 ans à peine, on se retrouve au cœur de la vie et de la mort. Moi, je me suis pris une claque.

Ce qui est compliqué également dans ces études, c’est qu’elles sont exigeantes, qu’on vit des choses difficiles, que le rythme est soutenu mais qu’en parallèle notre métier n’est absolument pas reconnu à sa juste valeur. Sans dénigrer aucune profession, qui n’a jamais entendu en repas de famille « Tu es en école d’infirmière toi, c’est bien ça ? », ou bien « Ah bon ? C’est cinq ans d’étude pour faire sage-femme ? Je croyais que c’était deux ou trois », ou encore « Du coup, sage-femme tu fais les accouchements en gros, c’est ça ? ». C’est parfois franchement démotivant.

Heureusement, on rencontre des femmes et des couples magnifiques et cela nous donne la force et l’envie de continuer à apprendre ce magnifique métier.

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Si je devais évoquer un seul souvenir qui m’a beaucoup marqué, bien qu’il y en ait énormément, bons ou mauvais, ça serait l’annonce d’une mort fœtale inattendue en salle de naissances. Je m’en souviendrai toujours. La main de cette femme dans la mienne, le regard de son mari, cet accompagnement si particulier où mon rôle de sage-femme avait plus de sens que jamais. Sans oublier les remerciements du couple à la fin de cette journée pourtant affreuse pour eux. Quelle émotion…

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Cette profession me permet de prendre soin des femmes.

Tout d’abord, une sage-femme est, comme son nom l’indique, une personne qui connaît les femmes. Nous intervenons toujours dans des moments particuliers de la vie, et pas seulement lors de l’accouchement. Nous sommes là à un moment unique et spécial, quand elles sont le plus vulnérables. Nous accompagnons ces femmes toutes si différentes les unes des autres… C’est tellement enrichissant.

Personnellement, je prends soin d’elles en étant la plus douce possible, en les rassurant, en leur expliquant absolument tout ce qui se passe. Je les recentre et je les aide à gérer au mieux leur stress et leur douleur. Je prends soin d’elles en respectant leurs choix et leurs souhaits concernant leur accouchement. Je fais au mieux, en espérant que l’on ferait la même chose pour moi.

J’aime donner de mon temps, de ma personne. Sage-femme c’est à mon sens l’un des métiers les plus humains qui soit. Prendre soin des femmes, ça nourrit mon âme et ça me fait devenir chaque jour une meilleure personne.

Et puis, inconsciemment je pense, cela me permet de me projeter. On parle parfois du transfert patient – soignant, mais moins souvent de l’inverse. Et pourtant, en tant que jeune sage-femme et femme sans enfant, m’occuper des autres notamment dans leur maternité me permet d’anticiper le fait que je deviendrais, peut-être, mère à mon tour un jour.

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De mon côté, les personnes qui prennent soin de moi en tant que femme sont mon amoureux bien évidemment, et ma mère, ainsi que mes meilleures amies. Ce sont elles, les femmes de ma vie.

Musique choisie par Camille : Coldplay – Magic

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