J’ai survécu à 2 AVC

Je m’appelle Maria, je vais bientôt avoir 50 ans. Je suis divorcée mais en couple, j’ai trois grands enfants (deux filles et un garçon), et je suis assistante de direction dans un cabinet comptable.

Depuis plusieurs semaines, j’ai extrêmement mal au bras droit. Moi qui suis en parfaite santé, j’ai laissé traîner cette douleur, je le sais bien. Mais j’avais toujours mieux à faire. Le travail, le week-end avec les enfants à organiser, les travaux à la maison… La routine quoi. On a d’abord pensé à une tendinite puis, la douleur empirant, des examens complémentaires ont été pratiqués et il s’avère que j’ai deux caillots dans l’artère humérale. Cela est dû à la malformation d’un autre vaisseau sanguin.

Une opération est programmée pour remédier à cela, puis décalée. Ce n’est pas une chirurgie anodine, mais on ne m’évoque pas de risque de séquelles gravissimes. J’arrive donc la veille de l’opération plutôt sereine. Ma seule angoisse réside dans le fait d’appréhender la douleur post-opératoire. Nous sommes en pleine pandémie de Covid-19, et je sais que les visites ne seront pas autorisées. J’ai pris soin d’emmener avec moi des livres et des photos de mon conjoint et mes trois enfants.

Le jour de l’opération, j’envoie une photo à ces derniers. Grand sourire, en tenue de bloc dans le lit. « Prête. Bisous mes loulous, je vous aime ».

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Puis plus rien. Le trou noir. Le néant.

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Soudain, ma fille aînée qui m’embrasse et qui me dit et me répète, la voix tremblante « Je suis trop contente de te voir ». Elle est avec sa sœur. Je réalise qu’il s’est passé quelque chose de grave, elles ne devraient pas être là.

Je ne parviens pas à ouvrir les yeux. Je leur serre la main très fort.

Puis de nouveau, plus rien.

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J’entends des médecins qui parlent de moi et d’un score de Glasgow. Tiens, c’est drôle, ils me mettent une note. On dirait le score d’Apgar que l’on établit à la naissance des bébés et qui est consigné soigneusement dans le carnet de santé.

De nouveau le trou noir.

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Le parfum de ma fille aînée qui embaume la pièce, ma cadette qui me raconte une anecdote sur un de ses amis.

De nouveau, le néant.

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Mes filles qui placent devant mon visage une feuille plastifiée avec les lettres de l’alphabet. Je crois qu’elles attendent de moi que je leur épelle avec mon doigt ce que je souhaite leur dire.

Ça ne va pas assez vite, ça m’agace.

Et déjà, je suis fatiguée…

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Mon amoureux qui veut me faire écouter une chanson et qui ne parvient pas à la retrouver dans son téléphone.

Ma meilleure amie qui me tient la main.

Et de nouveau que dalle.

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J’émerge. Je suis dans un service de neurologie. J’ai l’impression que mon corps est comprimé dans une combinaison en lycra. Chaque mouvement me coûte. Et pourtant, je suis capable de marcher un peu en me concentrant très fort.

J’ai fait deux AVC. Pendant ou juste après l’opération on ne sait pas. Toujours est-il que je ne me suis pas réveillée. Un AVC dans le cerveau droit, et un au niveau du tronc cérébral. Si vous faites des recherches vous trouverez que les AVC au niveau du tronc cérébral sont fatals dans plus de 90% des cas.

Une semaine en réanimation dont je n’ai aucun souvenir, un nouveau passage au bloc pour subir une trépanation, une semaine en soins intensifs. Et me voilà.

Tout me semble flou. Tout le monde me dit que je leur ai fait peur, mais pour moi tout est vague. J’ai un peu de mal à organiser mes idées. Je ne sais plus comment utiliser mon smartphone.

Concernant les souvenirs que j’ai de ces deux dernières semaines, ils sont ce que j’appelle mes « souvenirs fabriqués ». J’avais l’impression d’être hospitalisée à domicile et que chaque personne, chaque soignant qui intervenait auprès de moi, était l’un de mes proches. Je suis convaincue que c’est cela qui m’a permis de m’en sortir. Ces souvenirs fabriqués, cette petite bulle que mon cerveau mutilé a fabriquée pour me préserver.

Aujourd’hui, deux mois après, je suis en centre de rééducation. J’alterne entre kinésithérapie, ergothérapie, entretiens avec l’orthophoniste, la neuropsychologue, la psychologue, les cours de sport. Et puis, confinée dans ce centre sans aucune visite au vu du contexte sanitaire, pour me divertir je lis, je tricote, je dessine, je couds…

Ce qui est le plus difficile pour moi qui n’ai aucun souvenir de ces deux semaines critiques, c’est d’admettre que j’aurais pu mourir. Voire même que j’aurais dû mourir. Les médecins et mes proches me l’ont suffisamment répété. Assez pour que je l’assimile. Et pourtant, je n’ai pas vu la fameuse et mystique lumière blanche.

Je dois accepter le fait que, comme tout un chacun sur cette Terre, je ne maîtrise rien de la vie ni de la mort.

Ma plus grosse angoisse aujourd’hui, c’est de refaire un AVC. Le premier ne m’a pas tué, le deuxième non plus. J’ai eu beaucoup de chance, je n’en aurais peut-être plus. Les allers-retours pour les rendez-vous médicaux à l’hôpital dans lequel tout cela s’est produit sont très angoissants également. Je gère cela chaque jour un peu mieux. Mais ce lieu est chargé en émotion, bien qu’il me manque deux semaines de souvenirs. C’est pourquoi la dernière opération que j’ai dû subir il y a deux semaines a été très difficile à appréhender. Je me sens mieux depuis que cela est derrière moi.

Le positif dans cette histoire, c’est que j’ai pu voir sur qui je pouvais compter, et que je suis fière de constater que mes enfants ont été capables de tout gérer.

Les autres disent de moi que je suis une battante, je ne suis pas d’accord. Je n’ai rien fait. Je n’ai ressenti aucune souffrance, je n’ai pas eu à choisir de vivre ou de mourir. Ce que j’ai fait et ce que je fais chaque jour, tout le monde peut le faire. Il suffit juste de volonté, et d’un peu de chance. En bref, je suis une grosse supercherie.

Si je témoigne aujourd’hui, c’est pour donner de l’espoir à celles qui sont également victimes d’un AVC. J’ai eu beaucoup de chance, mais je me dis aussi qu’il n’y a jamais rien de perdu. Même si j’ai du mal à constater mon évolution, mes proches et les spécialistes du centre la voient et m’encouragent. Ce qui me dérange le plus, c’est cette fatigue intense que je n’avais jamais ressentie auparavant.

Cet évènement n’a pas ébranlé la vision que j’avais de moi-même. Dans ma vie de femme de caractère qui tient à son indépendance, je ne pense pas que cela changera grand-chose. Moi qui suis plutôt féminine, je devrais réduire la hauteur de mes talons pour gérer au mieux mon équilibre, et peut-être que j’aurais besoin d’un peu d’aide notamment pour les trajets nécessitant la voiture. Mais rien ne me semble insurmontable.

J’envisage l’avenir de la meilleure des façons. Mon objectif dans un premier temps est de quitter le centre de rééducation pour l’anniversaire de ma fille cadette, mi-décembre.

Et puis, j’aimerais m’installer en Bretagne lorsque je serai à la retraite, bien que ça ne soit pas prévu pour tout de suite. Au bord de l’océan, la vie doit être douce…

Musique choisie par Maria: Grand Corps Malade & Camille Lellouche – Mais je t’aime

Un commentaire

  • Lisa

    Vit chaques instants comme tu souhaite les vivres! Tu l’as très bien dit: rien n’est insurmontable !
    Tu es bien vivante et tu ressent bien les frissons… les frissons de ta vie qui continue. ❤️

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